Vous entrez en bourse? Votre programme de rémunération survivra-t-il?

Chaque année, plusieurs centaines d’entreprises de toute taille font leur entrée en bourse sur la surface du globe. Malgré la pandémie, l’année 2020 en a recensées 1 363, dont près du quart étaient des entreprises du secteur des technologies, suivies de près par celles du secteur industriel et de la santé. Dans son bilan 2020 sur les introductions en bourse, EY rapporte que les transactions mondiales ont totalisé 268 milliards de dollars, dont 98 milliards ont été levés dans la zone Amériques. Avec l’abondance de liquidités et l’optimisme qui animent les marchés financiers à l’heure actuelle, les pronostics semblent favorables à une recrudescence des introductions en bourse à l’échelle mondiale. Au Québec, plusieurs entreprises pourraient tenter leur chance dans les mois qui viennent, notamment dans les secteurs de la technologie, des sciences de la vie et des ressources naturelles et minières.
Que ce soit pour accéder à un apport de nouvelles liquidités, à une notoriété accrue permettant d’attirer de nouveaux talents ou pour entamer une série de fusions/acquisitions, voir son entreprise cotée en bourse comporte de nombreux avantages.
Vous avez décidé de vous lancer dans l’aventure? Vous misez sur vos ratios financiers pour séduire les investisseurs et obtenir les liquidités nécessaires afin de réaliser votre stratégie d’affaires? Soit, mais qu’en est-il du facteur humain?
Les gens, piliers des grandes entreprises
Pour la grande majorité des investisseurs institutionnels, la qualité de la gestion est le facteur non financier le plus important lors de l’évaluation d’une nouvelle offre. Les investisseurs ont des attentes élevées envers l’équipe de direction, notamment qu’elle soit suffisamment motivée et compétente pour créer de la valeur pour les actionnaires, à court et à long terme. Des modifications à vos programmes de rémunération existants ou la mise en place de régimes incitatifs adaptés au nouveau modèle de gouvernance pourraient donc s’avérer pertinentes afin de soutenir cette création de valeur.
En matière de rémunération, il n’y a pas de recette universelle. Pour être efficace, votre programme devra en priorité :
- Être bien positionné par rapport à votre marché de comparaison
- Être bien calibré pour maximiser la profitabilité de l’entreprise et favoriser la rétention de vos dirigeants, tout en étant aligné avec la culture, la stratégie d’affaires et le stade d’évolution de votre entreprise
- Être facile à comprendre et à expliquer
Dans un contexte de premier appel public à l’épargne (PAPE), votre programme doit également vous prémunir contre les risques de dilution excessive. De plus, puisqu’une introduction en bourse permettra aux actionnaires et aux détenteurs d’options de monnayer éventuellement une partie de leur investissement, votre défi sera de démontrer aux investisseurs comment vous comptez retenir et continuer à mobiliser l’équipe de direction sur laquelle ils miseront.
Voici un survol des trois étapes clés qui vous aideront à mettre en place le bon programme de rémunération pour réussir votre entrée en bourse.
Étape 1
Analyse du marché : identifier le bon groupe de comparaison
En ayant en main un portrait clair de l’état actuel et de la stratégie visée, la première étape consiste à positionner votre entreprise par rapport à son marché (benchmarking).
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Secteur d’activité | Conseil d’administration | Honoraires versés aux administrateurs externes (CA) |
Taille (revenus, nombre d’employés) | Comité de direction | Salaire de base |
Capitalisation boursière | Cadres | Incitatif à court terme (boni) |
Région | Employés avec une expertise clé | Régime d’intéressement à long terme (RILT) |
Structure de propriété | Régime de retraite et gratifications |
Le succès de cette analyse, à la fois quantitative et qualitative, repose avant tout sur la pertinence du groupe de comparaison et sur la crédibilité des sources de données. L’échantillon construit doit être représentatif du marché de l’emploi.
Mise en garde
Le but n’est pas de copier le marché, mais plutôt de vous positionner dans votre marché en déterminant le bon mix de rémunération et la bonne pondération à associer à chacune des composantes de ce mix en fonction de vos objectifs.
Étape 2
Conception du programme de rémunération : trouver le juste équilibre
La deuxième étape consiste à concevoir une structure de rémunération sensée. Celle qui vous permettra de créer de la valeur pour vos actionnaires, tout en récompensant vos gestionnaires pour l’atteinte des objectifs d’affaires. Idéalement, celle-ci vous donnera aussi un maximum de latitude pour apporter des ajustements dans les années futures.
Afin de gagner la confiance des actionnaires et des agences de conseil en vote, un bon programme de rémunération devra notamment présenter :
- Une définition claire de la philosophie qui sous-tend l’analyse du marché (benchmarking)
- Un juste équilibre entre les composantes du mix de rémunération (salaire de base, rémunération incitative à court et à long terme) qui tient compte du stade d’évolution de l’entreprise (par exemple, le régime d’une société en démarrage comportera souvent des salaires plus modestes, sans prime annuelle, avec un régime d’intéressement à long terme offrant de plus grandes opportunités)
- Les critères sur lesquels repose le paiement des bonis annuels
- Un juste équilibre entre la rétention et les paiements
- Les critères pour déterminer les attributions du régime incitatif à long terme (RILT) après l’introduction en bourse, en tenant compte :
- Des objectifs de rétention et de l’équité interne
- De la valeur des options non acquises restantes et leur calendrier d’acquisition
- De la valeur nominale des attributions
- De la valeur attendue des options (Black-Scholes) (BS)
- De la dilution potentielle des actionnaires en lien avec le RILT
- Les mécanismes permettant de gérer efficacement les risques liés à la rémunération incitative :
- Risque de rétention (après la période de blocage)
- Risque de déséquilibre (récompenser plusieurs fois les mêmes résultats)
- Risque de dilution et d’emprise potentielle trop importante
- Risque économique (échelles de paiements, tests de résistance)
- Risque de fraude ou malveillance (politique de récupération)
Et une fois l’introduction en bourse terminée, un régime d’achat d’actions pour les employés pourrait être un élément attrayant à considérer afin de mobiliser l’ensemble du personnel et permettre à chacun de bénéficier des succès de l’entreprise.
Étape 3
Communication et divulgation : apprivoiser et assumer la transparence
Devenir une entreprise publique nécessite un changement d’orientation important au niveau de la communication, tant à l’interne qu’à l’externe. Les employés d’entreprises privées peuvent avoir une idée assez abstraite du fonctionnement et de la valeur des unités d’actions et des options, de même que des restrictions qui s’y rattachent (période de blocage, contraintes de transaction, délits d’initié). L’un des principaux facteurs de succès de votre introduction en bourse sera donc de bien expliquer, dans un langage simple et clair, la valeur et le fonctionnement des nouveaux programmes de rémunération.
L’entreprise sera dorénavant un livre ouvert et tout le personnel devra s’adapter à cette nouvelle réalité. Vous devrez produire un prospectus et plusieurs rapports externes et divulguer certains renseignements que vous considériez jusqu’ici comme confidentiels. Vos programmes de rémunération seront scrutés par tout un chacun. Plus que jamais, il sera donc important de démontrer une grande rigueur et de développer une connaissance approfondie des lignes directrices des agences de conseil en vote (ISS, Glass Lewis, etc.) ainsi que des attentes des groupes de défense des actionnaires (MÉDAC, CCGG, etc.).
Vous devrez non seulement apprivoiser cette transparence, mais vous assurer aussi d’une constance dans le temps, puisque l’entreprise devra vivre avec ce qu’elle aura publié d’une année à l’autre.
« La transparence et l’alignement des programmes avec la stratégie d’affaires doivent toujours prévaloir : voici ce que nous faisons et voici pourquoi. Si vous n’êtes pas en mesure d’expliquer pourquoi vous le faites, c’est probablement que vous ne faites pas la bonne chose. » – Bridgit Courey, Associée et conseillère principale
À retenir : Facteurs de succès et pièges à éviter
Facteurs de succès | Pièges à éviter | |||
Analyse du marché (Benchmarking) | Avoir un portrait clair de l’état actuel et de la stratégie visée | L’objectif n’est pas de copier le marché, mais de viser le positionnement et le mix adéquats | ||
Utiliser un groupe de comparaison pertinent et des sources de données crédibles | ||||
Effectuer une analyse quantitative et qualitative du marché | ||||
Conception du programme de rémunération | Équilibrer les composantes du mix pour lier la rémunération globale aux objectifs d’affaires tout en favorisant la rétention des dirigeants | Mettre en œuvre un programme trop complexe et rigide | ||
Équilibrer la rétention et les paiements | ||||
Définir clairement toutes les lignes directrices et les bases de calcul pour les attributions | ||||
Mettre en place des mécanismes pour mitiger les risques liés aux régimes incitatifs | ||||
Tenir compte du stade d’évolution de l’entreprise | ||||
Faire toucher de grosses sommes aux individus clés après l’introduction en bourse sans avoir de mécanismes de rétention | ||||
Communication et divulgation | Communiquer le programme à l’interne dans un langage clair et simple | Dénaturer la culture de l’entreprise pour se plier aux « meilleures pratiques » | ||
Bien connaître les lignes directrices des agences de conseil en vote, « proxy advisors » (ISS, Glass Lewis, etc.) | ||||
Se familiariser avec les attentes des groupes de défense des actionnaires (MÉDAC, CCGG, etc.) | ||||
Aligner la culture de l’entreprise aux normes de transparence |
En conclusion
Le processus d’introduction en bourse en lui-même n’est qu’une des étapes déterminantes dans la transition complexe d’une entreprise privée à une entreprise publique, dont le succès repose sur une transformation structurée et bien gérée des processus et de la culture de l’organisation.
Alors qu’elle était jusqu’ici essentielle pour assurer la pérennité et la croissance de votre entreprise, la rétention de vos dirigeants clés sera maintenant tout aussi essentielle pour gagner et maintenir la confiance des investisseurs. Dans ce contexte, un bon programme de rémunération qui est aligné sur la stratégie d’affaires permet d’envoyer des messages clairs, et constitue un puissant levier pour initier et encourager les comportements recherchés.
Entourez-vous d’experts pour vous aider à naviguer dans ce nouvel écosystème et pour déterminer, avec vous, le programme de rémunération qui convient le mieux à votre propre réalité et qui vous donne un maximum de flexibilité et de rendement sur vos dollars de rémunération investis.
Vous pourrez ainsi vous assurer que l’équipe de haut niveau qui sonnera la cloche pour souligner ce jalon important dans l’histoire de votre entreprise sera motivée à poursuivre l’aventure avec vous pendant encore de nombreuses années.
Vous envisagez un premier appel public à l’épargne?
PCI rémunération-conseil est l’un des plus importants cabinets-conseils indépendants spécialisés en gouvernance et dédiés à la rémunération globale au Canada. Nous accompagnons depuis déjà 20 ans des organisations de toutes tailles et tous secteurs en concevant des programmes de rémunération qui reflètent leur caractère entrepreneurial dans le respect des normes de gouvernance modernes et sensées.
Auteurs
Bridgit Courey, CPA, CA, ASC, Associée
Dominic Girard, Associé