Régionaliser sa structure salariale dans un contexte de télétravail : pertinent pour votre organisation?

Après une croissance soutenue depuis 2016i et une montée rapide au cours de la dernière année, la pratique du télétravail est maintenant bien installée, tant au Canada qu’à l’étranger, et tout indique que cette tendance devrait non seulement perdurer, mais s’accentuer dans le temps.
Pour les entreprises, tous secteurs confondus, cette nouvelle réalité amène son lot d’opportunités, de défis, d’ajustements et de questionnements. Comment maintenir la productivité, préserver la culture et le lien d’appartenance à l’organisation, motiver les troupes et assurer leur sécurité au travail? Autant de questions qui suscitent des discussions et demandent réflexion.
Parmi les nombreuses questions soulevées, il y a la façon de déterminer les salaires de base des employés qui seront établis dans différentes régions ou provinces. Certaines entreprises américaines ont choisi d’adopter un modèle de rémunération qui tient compte notamment de la zone géographique où réside l’employé lorsqu’il est en télétravail de façon permanenteii. Le nouveau contexte de travail nécessite-il d’adopter une telle approche? D’ajuster les salaires, à la hausse ou à la baisse, en fonction du coût de la vie du lieu de résidence?
À l’opposé, on pourrait penser que certaines entreprises feront le choix de rémunérer l’ensemble de leurs employés sur la même structure salariale pour des raisons d’équité.
La transition d’une structure salariale nationale vers une approche locale que nous nommerons « politique de rémunération géographique » peut avoir des conséquences importantes pour une entreprise. Elle doit donc être mûrement réfléchie à la lumière des particularités, des avantages et des inconvénients d’une telle approche. Voyons cela de plus près.
En quoi consiste la mise en place d’une politique de rémunération géographique?
L’entreprise qui envisage d’implanter une telle politique doit faire certains choix pour offrir une rémunération compétitive : elle peut choisir d’ajuster sa structure salariale en fonction du coût de la vie, du niveau des salaires ou d’une combinaison de ces facteurs, dans chaque région où elle opère. Dans ce contexte, tel que rapporté dans une étude de WorldatWorkiii sur le marché américain, les titulaires d’un même emploi seront rémunérés différemment selon la région où ils vivent ou travaillent, et le différentiel de rémunération consistera :
- À appliquer un facteur de majoration/réduction à la structure salariale ou aux salaires individuels; ou
- À créer une structure salariale distincte pour chaque situation géographique.
Dans cette même étude, WorldatWork mentionne aussi que la majorité des organisations participantes ayant une politique de rémunération géographique en place utilisent la ville ou la région métropolitaine comme indicateur de base du différentiel de rémunération géographique, et que 91 % considèrent que le coût de la main-d’œuvre (ou taux de rémunération du marché) a une influence bien supérieure au coût de la vie pour déterminer leur approche. En ce qui concerne la détermination de la situation géographique pour la rémunération des employés, WorldatWork rapporte qu’elle est généralement basée sur :
- Leur port d’attache (« reporting location »), comme le siège social ou une unité d’affaires (38 %);
- L’établissement le plus près de l’employé (29 %); ou
- Le lieu de résidence de l’employé (20 %).
Une tendance bien ancrée aux États-Unis
L’étude de WorldatWork révèle aussi que 62 % des entreprises américaines participantes ont déjà mis en place une politique de rémunération géographique et que 44 % de celles-ci ont récemment modifié leur politique, ou considèrent étendre ou consolider cette pratique, pour tenir compte de l’augmentation du télétravail à temps plein. Du côté des employés sondés, on rapporte que 67 % d’entre eux s’attendent à une rémunération différenciée sur la base de variations dans le coût de la vie et du coût de la main-d’œuvre lié à leur emplacement de travail.
Le nouveau contexte de télétravail et la tendance observée aux États-Unis inciteront-ils les entreprises canadiennes à emboiter le pas en régionalisant leur structure salariale?
Entre 2016 et le début de 2021, Statistique Canadaiv a observé une croissance de 28 % chez les employés canadiens âgés de 15 à 69 ans qui effectuent la plupart de leurs heures de travail à partir de leur résidence. Par ailleurs, 80 % des nouveaux télétravailleurs de 15 à 64 ans ont indiqué qu’ils aimeraient travailler au moins la moitié de leurs heures à la maison une fois la pandémie terminée. Statistique Canada établit également un lien positif entre la préférence des travailleurs en matière de télétravail et leur productivité évaluée en termes d’heures de travail.
Soit, l’engouement pour le télétravail est bien réel et une tendance à la hausse est à prévoir. Les options « télétravail » et « bureau » sont appelées à rester au sein des organisations, même si dans des proportions différentes en fonction du secteur. Mais faut-il pour autant adopter une politique de rémunération géographique? Pas nécessairement.
Le poids des inconvénients
La décision de modifier la façon dont on rémunère les gens demande une analyse rigoureuse des implications qui peuvent nuire au succès de l’entreprise. Et à première vue, nous sommes d’avis que les inconvénients potentiels risquent de surpasser les avantages.
Avantages
- Potentiel d’attraction et de rétention accru en offrant une rémunération compétitive en fonction du marché de l’emploi de la région
- Meilleur contrôle/utilisation des coûts de main-d’œuvre puisqu’ils sont modelés en fonction des besoins régionaux
Désavantages
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Complexité de gestion accrue
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Le marché de l’emploi peut être régional ou national selon la nature de l’emploi
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Le marché de comparaison peut varier selon les régions
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Nécessite d’obtenir et de tenir à jour des données de rémunération de sources crédibles et fiables pour chacune des régions visées
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Implique davantage de communication aux gestionnaires
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Perception potentielle d’iniquité salariale
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Payer des employés différemment pour effectuer le même travail
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Payer différemment alors que certains employés n’ont pas le choix du lieu de travail
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Lorsqu’un employé change de région et voit son salaire modifié à son désavantage (ou non)
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Lorsque les tendances de rémunération dans une région changent de cap et qu’il faut réduire ou geler la structure salariale de cette région
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Défi de rétention ou d’attraction de la main-d’œuvre
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Les employés qui ont des compétences recherchées peuvent potentiellement travailler pour un grand nombre d’entreprises; celles qui décideront de les payer moins parce qu’ils vivent dans une région donnée pourraient perdre ces employés clés
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Dans sa réflexion, l’entreprise devra tenir compte des avantages et inconvénients qui s’appliquent à sa propre situation, en plus de considérer plusieurs variables : la nature des emplois, leur dispersion géographique, le pourcentage des effectifs en télétravail, la culture d’entreprise, la capacité de payer, les pratiques des principaux concurrents, etc. Si elle décide d’aller de l’avant, elle devra aussi définir ses régions et sa base de calcul (coût de la vie ou taux des salaires payés sur le marché), s’assurer d’avoir des données d’emploi fiables et durables à sa disposition, et mesurer les impacts potentiels sur les employés.
En résumé
Le nouveau contexte du marché de l’emploi qui favorise le télétravail peut amener des questionnements sur le bien-fondé d’ajuster les salaires de base des employés en fonction de leur région, afin d’assurer une gestion équitable des salaires et de favoriser la rétention. On observe une certaine tendance en faveur de cette pratique chez nos voisins du Sud. Or, régionaliser sa structure de rémunération est une décision importante qui demande mûre réflexion puisque les inconvénients pourraient potentiellement avoir plus de poids que les avantages. C’est donc une décision qui ne doit pas être prise à la légère.
Vous songez à régionaliser votre structure salariale ? Assurez-vous d’avoir tous les outils en main pour prendre une décision éclairée.
Auteurs
Isabelle Caron, Ph. D., conseillère principale avec la collaboration de Marc Chartrand, M. Sc., CRHA, Distinction Fellow, ASC, associé.
Références
i Statistique Canada, Travail à domicile : productivité et préférences, 1er avril 2021.
ii Reuters, Pay cut: Google employees who work from home could lose money, 10 août 2021; Bloomberg, VMware Cuts Pay for Remote Workers Fleeing Silicon Valley, 11 septembre 2020.
iii U.S. Geographic Pay Policies Study, WorldatWork, April 2021 (member-restricted study), Workspan excerpt
iv Statistique Canada, Travail à domicile : productivité et préférences, 1er avril 2021.
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